Trois questions à Emma Haziza
Le 30 juin dernier, Emma Haziza, hydrologue et experte dans le développement de stratégies pour la résilience des territoires face aux extrêmes climatiques, a fait une intervention éclairante et passionnante lors du séminaire annuel des collaborateurs de la régie de L'Eau Bordeaux Métropole.
Le 30 juin dernier, Emma Haziza, hydrologue et experte dans le développement de stratégies pour la résilience des territoires face aux extrêmes climatiques, a fait une intervention éclairante et passionnante lors du séminaire annuel des collaborateurs de la régie de L'Eau Bordeaux Métropole avant de se prêter au jeu des questions (nombreuses) - réponses de la salle, le tout orchestré d’une main de maitre par la journaliste Pauline Boyer. Durant cette matinée mémorable et si riche en échanges, Emma Haziza a expliqué comment l’action de l’homme a modifié les réserves en eau et comment l’urgence climatique nous impose des changements dans nos modes de faire, d’acheter, de produire.
Avant de repartir, elle a volontiers accepté de répondre à nos questions. Extraits.
1/ Quel regard portez-vous sur la gestion publique de l’eau et le passage en régie ?
La régie publique est un nouveau modèle qui revient à mettre l’eau en tant que bien commun. Autrement dit, on n'est plus sur « eau produit » dans une logique économique, obligatoire en milieu privé qui se justifie et s’explique. Avec le passage en régie publique, on va gérer le service de l’eau mais on va l’amener plus loin. Qu’est ce qu’on va pouvoir faire sur la zone d’impluvium (1)? Qu’est ce qu’on va pouvoir protéger ? Comment on va transformer cette zone-là ? Est-ce qu’on peut aussi contribuer à d’autres messages qui vont au-delà de l’eau mais qui concernent l’eau ? Par exemple, comment remet-on nous en place des villes éponges ? Comment est ce qu’à un moment donné chaque route devient du béton poreux parce qu’il contribue à alimenter la nappe ? Comment est ce qu’on crée des corridors verts avec des zones qui permettent de capter la pluie, d’irriguer ces corridors verts avec des arbres qui, dans une période où il ne pleut pas, permettent de réalimenter les sols et la nappe.
Ce sont des moyens qui existent partout dans le monde, qui sont prouvés.
Avec le passage en régie publique, on reprend le pouvoir sur son eau.
Avec le passage en régie publique, on reprend le pouvoir sur son eau.
2/ Vous évoquez souvent la conscience du cycle de l’eau, vous parlez du lien entre le grand cycle et le petit cycle de l’eau ?
On a découvert assez récemment à quel point le cycle de l’eau est interplanétaire. Il y a une prise de conscience nécessaire et même urgente car il va falloir rétablir tous les cycles et comprendre que le grand cycle de l’eau est totalement inter relié. A ce sujet, à l’occasion de la journée mondiale de l’eau le 22 mars dernier, et alors même que l’ONU a révélé les conclusions de la dernière étude d’Oxfam sur les limites planétaires, révélant que la 6ème limite avait été dépassée en 2022, celle du cycle de l’eau douce. Cette étude met également en évidence certaines interactions surprenantes de prime abord : la guerre en Ukraine a généré par exemple des inondations en Chine. La déforestation au Congo a généré des conséquences graves sur la forêt en Amazonie. Vous voyez : ce grand cycle existe et le petit cycle est tout aussi essentiel et nous, on le perturbe en permanence. On a perdu nos zones humides (2). En fait, nos sols ne transpirent plus, n’ont plus de rosée parce que l’eau ne pénètre plus. Comprendre ça, c’est comprendre qu’à un moment donné il faut réinstaurer tous ces cycles.
3/ Quel rôle peut ici jouer la fonction recherche avec, par exemple, l’émergence de nouveaux matériaux ? Comment peut-on réinventer la ville, repenser l’urbanisation ?
Il faut naturellement sortir des modèles minéraux des villes. Ensuite, de nombreuses solutions sont à notre portée car elles existent déjà. Par exemple, le béton poreux existe déjà. Il ne coûte pas beaucoup plus cher mais il n’est pas obligatoire dans les appels d’offre et les marchés publics. Autre exemple : on sait aujourd'hui très bien reverdir nos façades. On sait très bien avoir des peintures réfléchissantes blanches qui derrière vont travailler sur cet albedo : c’est toute la question de la chaleur qu’on accumule ou pas. Le sol, quand il est foncé, accumule de la chaleur. Il faut le transformer jusqu’à l’entrée des parkings. Il faut aussi transformer les jardins. Il faut enlever les carrelages des terrasses pour favoriser l’impluvium. Et vous, en tant que régie, vous avez le pouvoir de modifier les comportements, accompagner ce changement nécessaire. Vous avez un pouvoir de transformation du territoire. Les solutions existent du côté des équipements. Mais elles existent aussi du côté du comportement. Nous sommes des êtres émotionnels.
Et il faut redonner confiance à l’eau. Et il faut qu’une régie publique puisse le faire. Au-delà de l’eau publique, c’est bien la question du comportement, de l’accompagnement et de l’aide, y compris l’aide à l’équipement, qui me parait le rôle majeur d’une entreprise publique. Alors oui, il faut expliquer aux gens « prenez une douche plutôt qu’un bain » encore que cela dépend de la douche et du bain. Il faut les éduquer sur les mousseurs et globalement sur les économies d’eau. Mais il faut également leur apporter des solutions pour retransformer l’eau si besoin pour que l’eau ait un goût exceptionnel. Et en fait, il faut tout faire pour que les gens se remettent à boire de l’eau du robinet. Il faut redonner confiance. Une entreprise publique a ce pouvoir.
Il faut tout faire pour que les gens se remettent à boire de l’eau du robinet. Il faut redonner confiance. Une entreprise publique a ce pouvoir.
(1) Impluvium : Un impluvium est un système de captage des eaux de pluie, qui désigne, dans le cas présent, la zone qui accueille et fait office de réservoir des eaux de pluies.
(2) Zone humide : «terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année». (Art. L.211-1 du code de l'environnement).
